La poussée historique paraît imminente dans les conditions actuelles de fonctionnement des rapports sociaux en Haïti.Ce phénomène n’a pas retenu l’attention des analystes et des historiens à date.On peut le définir comme une entrée spectaculaire des masses populaires sur la scène politique, provoquée par un fait ou un incident jugé mineur, inscrit dans le quotidien, mais au coefficient culturel dense et signifiant.
Appelons ce facteur le grain de sable. Qui, de façon inattendue, a la capacité de bloquer le moteur, alors que celui-ci a résisté à tous les obstacles et tranchées.Notons au passage : la grève de Damiens et la chute d’Elie Lescot, les manigances de Trujillo et l’effacement de Vincent, les jeux mondains de Paul Magloire et la chute d’Estimé, le décés de trois écoliers aux Gonaïves et la chute de J.Claude Duvalier, le décès d’une écolière à Petit Goave et la chute de Prosper Avril.
L’événement, baptisé grain de sable, prend sa force de contagion et d’explosion dans un contexte très particulier, à haute et significative portée culturelle, toujours postérieur à des moments critiques, qui ont vu les conditions de vie du peuple se détériorer, et fait marquant, entraîné la désacralisation du politique et des politiques, enlisés dans la démagogie et la quête de l’avoir.
C’est alors que le grain de sable ouvre la porte à la poussée historique.Oppositions et gouvernement sont pris dans la tourmente. L’événement, dans la majorité des cas, s’accompagne de tentative ouverte ou souterraine de prise de pouvoir par une classe sociale ou un groupe politique à l’attente, si l’on peut dire, dans les coulisses de l’histoire ou des institutions décadentes.
Secousse sismique de faible ou forte intensité, la poussée historique défie classes sociales et organisations politiques.On retiendra que la poussée historique ne dialogue ni ne vote. Elle entend s’imposer, tandis que les tenants de doctrines démocratiques, pour la plupart sans référence populaire, proposent, arguent et lalôzent. Elle géle la lutte des classes, elle tourne en dérision les politiques (la démocratie étant dépourvue de calories), et proclame la venue d’un nouveau monde, taillé à la mesure des déceptions et coups bas subis au long de l’évolution de la société.
On en est là. Salomon et Doc Duvalier sont des moments forts de la poussée historique des classes moyennes noires. Salnave, Fignolé et Aristide sont des moments forts de la poussée historique des couches populaires.
On en est là, aujourd’hui. Dans l’attente du grain de sable. En retenant que beaucoup d’eaux ont coulé sous les ponts. Et, surtout, que l’histoire ne se reproduit jamais à l’identique. Ainsi,la tragédie de nos échecs sera-t-elle prise en compte à des fins de redéfinition ou sera-t-elle suivie, pour parodier Marx, de la comédie de notre gouvernance historique, indifférente à l’amélioration des conditions de vie du peuple et à la défense de la citoyenneté haïtienne?
La question est d’actualité. Avec, à l’horizon des dépassements et conversions, les exigences incontournables de restitution et de réparation des torts bicentenaires faits au peuple haïtien.
Willem Roméus